Parlons des émissions fontaine : Pourquoi est-ce important, et qu'est-ce qu’on ressent ?
Tout sur l'éjaculation féminine
*Traduction: Sarah Idrissi
L'éjaculation est une expérience corporelle puissante qui a longtemps été associée au pénis et à la sexualité masculine. Mais l'éjaculation de la vulve ou du vagin peut également se produire - avant, pendant, après ou sans orgasme. Maintenant que l'on comprend que les femmes et les personnes assignées femmes à la naissance ont une sexualité - que nous ne sommes pas des objets sexuels passifs -, il y a une plus grande ouverture et une meilleure conscience de notre biologie sexuelle, de nos désirs et de nos appétits. L'émission fontaine (squirt) n'en est qu'une partie.
Qu'est-ce que l’"émission fontaine », squirt ou "éjaculation féminine" ?
Lors des rapports sexuels, certaines personnes ayant une vulve expérimentent une émission involontaire de fluide. C'est ce que l'on appelle l’ "émission fontaine", "éjaculation féminine" ou squirt (bien que toutes les personnes ayant une vulve ne s'identifient pas comme des femmes, et que toutes celles qui s'identifient comme des femmes n'aient pas non plus de vulve).
"Le squirt a fait l'objet d'une grande attention ces dernières années. Avoir des informations précises et des conversations sur les réalités sexuelles des personnes assignées femmes - dont les corps sont encore souvent sujets à des mythes et à des mystères - c'est fantastique. Ceci dit, l’émission fontaine est parfois présentée comme un objectif à "atteindre" ou comme un essentiel de la libération sexuelle. Cela crée beaucoup de pression inutile". - Kitty May, directrice de la formation et de la sensibilisation communautaire chez Other Nature, un sex-shop féministe à Berlin
Certaines personnes pensent que l’émission fontaine est un numéro qu'on attend systématiquement d'elles, mais qu'en est-il de celles qui trouvent que squirter leur donne du pouvoir ? Et qu’est-ce que ça signifie de parler d' "éjaculation féminine" avec des personnes qui s'identifient en dehors du genre binaire ?
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Une brève histoire de l'émission fontaine
Il semblerait que nous éjaculons depuis longtemps. En 2010, l'urologue Joanna Korda et ses collègues ont passé au peigne fin des traductions de textes littéraires anciens et ont relevé de multiples références à l'éjaculation des fluides sexuels (1).
Le Kamasutra (écrit en 200-400 après J.-C.) parle de "sperme féminin" qui "tombe continuellement" tandis que dans un texte taoïste du 4ème siècle, "Instructions secrètes concernant la chambre de jade", on distingue "vagin glissant" et "les organes génitaux transmettent le fluide". Korda et ses collègues estiment que ce dernier peut clairement être interprété comme une éjaculation féminine (1).
Controverse sur le squirt : Le "liquide éjaculatoire féminin" est-il juste de l'urine ?
La popularité n'a pas rendu l’émission fontaine "acceptable" partout. En 2014, l'éjaculation féminine a été bannie de la pornographie produite au Royaume-Uni. Cette interdiction a suscité de nombreuses protestations, car elle implique que l'éjaculation par la vulve est en quelque sorte perverse, alors que l'éjaculation par le pénis est tout à fait normale.
Apparemment, les censeurs ont eu du mal à faire la différence entre l'éjaculation féminine et la miction, qui est considérée comme un acte pornographique "obscène".
Les scientifiques ne s'accordent pas de manière concluante sur la composition du liquide éjaculatoire féminin (2-5). Bien que les résultats ne soient pas encore clairs, il a été démontré que le fluide de l'éjaculat féminin contient de l'urine et peut également contenir une combinaison d'autres fluides (2-4).
En 2009, la Dre Amy L. Gilliand, doula et chercheuse en sexologie, a constaté que les études existantes sur l'éjaculation féminine ne tenaient pas compte des expériences des personnes qui éjaculent. Elle a donc interrogé 13 femmes sur leurs expériences (6).
La majorité d'entre elles ont rapporté que des quantités " abondantes " de liquide étaient libérées au moment de l'orgasme, suffisamment pour " tremper le lit ", " asperger le mur " ou faire hurler leur partenaire de terreur et d'incompréhension (6).
Gilliland a noté que les femmes qui se sentaient honteuses de leur éjaculation avaient tendance à avoir des sentiments plus positifs plus tard dans leur vie : par une meilleure connaissance du phénomène, par l'expérience d'autres personnes ou après avoir reçu des commentaires positifs de leurs partenaires sexuel·le·s (6).
Qu'est-ce que ça fait une émission fontaine ? Expériences d'éjaculation
En comparaison, on écrit davantage sur les expériences d'éjaculation des femmes hétérosexuelles et cisgenres. J'ai donc demandé aux personnes homosexuelles et transgenres de mon réseau de me raconter leur histoire :
"Avec le temps, mon ressenti a beaucoup changé."
"L'une des premières fois que j'ai squirté, c'était avec un·e partenaire de longue date, j'avais une vingtaine d'années et j’ai éprouvé de la gêne, je craignais que ce soit de l'urine. Ce·tte partenaire et moi l'avons senti et essayé de le goûter, pour en arriver à la conclusion que ce n'était pas du pipi et que si c'était le cas, cela n'avait pas vraiment d'importance. À l'époque, cela n'arrivait pas si fréquemment et je n’avais pas autant d’assurance à ce sujet ou je ne le comprenais pas aussi bien que maintenant. Maintenant, cela arrive souvent et j'ai l'impression de mieux le contrôler.
Maintenant mes squirt vont beaucoup plus loin et sont plus abondantes. Avec le temps, mon ressenti a beaucoup changé : tant que je n'abîme pas la surface sur laquelle je suis, j'adore squirter et je trouve ça très agréable. Souvent j'ai une émission fontaine au tout début de l'orgasme, pour moi ça en fait partie." -- Princess (femme cisgenre, queer)
"Quand je squirt je me sens bien dans mon corps et mon genre."
"La première fois que j'ai squirté c'était comme une fontaine et j'ai été plutôt surpris·e. La personne avec qui je faisais l'amour s'en fichait, elle a fait comme si c'était tout à fait normal et a continué. J'étais tout·e mouillé·e, c'était si bon ! Ces jours-ci, je squirt principalement au début de mon cycle : une ou deux semaines après la fin de mes règles. Je me sens vraiment bien quand je squirte. J'aime la joie ou la surprise que ça procure aux autres. Pour moi, c'est une sorte de contrepied à l'éjaculation masculine. En tant que personne qui s'identifie comme non-binaire, c'est très intéressant de jouer avec ça.
Chaque fois que j'ai des rapports sexuels, je m'identifie à un genre différent, ou à une personne ayant tous les genres possibles. Quand je squirt je me sens bien dans mon corps et mon genre. Je n'ai pas besoin d'avoir une bite pour éjaculer, comme si je pouvais tout avoir. C'est aussi une victoire, celle de laisser faire mon corps. C'est peut-être de l'urine ou peut-être pas, je m'en fiche. C'est très satisfaisant de laisser mon corps faire ce qu'il veut.
Je n'ai pas d'orgasme avant de squirter, et pour que je squirte, il faut une pénétration très physique, presque violente, et quand je squirte, je me vide en quelque sorte. Parfois, j'arrive à avoir un orgasme après, mais généralement, après avoir eu une émission fontaine, je dois arrêter le sexe - le squirt c'est déjà beaucoup pour moi. Il m'arrive de squirter au moment de l'orgasme, il arrive que mon partenaire s'en aperçoive et me le dise, ou parfois c'est très puissant et je m'en aperçois moi-même" -- Anonyme (non-binaire, queer)
" Je me sens très sexy et puissante quand je gicle. "
"La première fois que j'ai squirté, j'avais 18 ou 19 ans. Je me masturbais dans la douche avec le jet du pommeau de douche, et j'ai joui très fort, en squirtant. C'était incroyable, comme une libération et une relaxation extrêmes que je n'avais jamais connues auparavant ; un plaisir intense. Maintenant, je squirte chaque fois que la bonne pression est exercée sur mon point G ou lorsque je me masturbe avec le pommeau de douche.
La plupart du temps, j'ai un orgasme et je squirte en même temps, mais parfois c’est un peu avant ou après avoir joui. J'adore ça et ce depuis la première fois. " Je me sens très sexy et puissante quand je gicle. ". Mes partenaires semblent aussi beaucoup apprécier, en tout cas je n'ai pas eu de retours négatifs."-- Layana (femme cisgenre, queer)
"C'était très agréable, un peu mouillé mais très intime."
"Pendant des années, je sentais que quelque chose devait sortir, mais ça n'est jamais arrivé. J'avais tellement peur de faire pipi que je disais stop. Puis une fois, mon partenaire m'a baisé pendant longtemps, et j'ai décidé que je n'avais pas peur de faire pipi. Je me suis détendu et j'ai éjaculé. C'était très agréable, un peu mouillé mais très intime. Ma·mon partenaire était aussi très excité·e. Je pense que voir quelqu'un se laisser aller c'est sexy. Quand j'étais plus jeune, je n'aimais pas me sentir trop humide ou en sueur, mais maintenant tout ça ça fait partie du sexe pour moi, et je trouve ça excitant.
Aujourd'hui j'éjacule plus souvent. Je ne peux pas le contrôler, mais je sais quand ça va arriver, et c'est une sensation extraordinaire. Ça arrive avant l'orgasme, et si je continue à baiser un peu, je jouis après. Les techniques de respiration m'ont aidé à me détendre, à éjaculer, à contrôler mes orgasmes et à les amplifier. Avant, je croyais que l'éjaculation féminine était un moyen de voir quand quelqu'un jouit, mais maintenant je sais que l'éjaculation ne signifie pas qu'il y a eu un orgasme.
Pour toutes les personnes qui se sentent gênées de squirter, je pense qu'il est important de se rappeler que c'est super sexy, et même si c'est du pipi, ce n'est pas grave - le pipi n'est que de l'eau de toute façon." -- Sammi (homme transgenre, queer)
D'une certaine manière, l'éjaculation ressemble beaucoup à l'orgasme : elle se produit parfois et parfois non. Nous ne savons pas encore de façon définitive pourquoi certaines personnes ayant une vulve éjaculent et d'autres pas. Cela pourrait être dû au fait que certaines personnes ne sont pas suffisamment excitées sexuellement, ou ne reçoivent pas le type de stimulus sexuel nécessaire pour éjaculer, parce qu'elles ne se sentent pas à l'aise pour le faire, ou parce qu'elles se retiennent délibérément pensant qu'éjaculer, c'est faire pipi (6). Il se pourrait aussi que davantage de personnes éjaculent sans s'en rendre compte, mais en plus petites quantités qui passent inaperçues.
"Il se peut que toutes les personnes ayant une vulve aient la capacité de squirter, mais il n'y a aucun moyen de le savoir et, surtout, cela n'intéresse pas tout le monde", explique Kitty May. "Il n'y a rien de mal ou de honteux à squirter - mais il n'y a rien de mal non plus à ne pas squirter !"
Qu'il s'agisse d'orgasme, de squirt ou d'autre chose, chaque corps est différent. Au lieu de se concentrer sur une destination, pourquoi ne pas poser une serviette et profiter du voyage ?
Cet article a été initialement publié le 9 novembre 2017.